Skagen.
Ce nom me faisait vibrer, et représentait l’une des raisons pour lesquelles j’avais choisi le Danemark pour ce voyage. Pointe de terre à l’extrême nord du pays, point de rencontre des deux mers, la Baltique et la Mer du Nord, les dunes de Grenen sont sujets d’étude pour les artistes comme pour les scientifiques.
Au mois d’octobre, on m’avait averti que la côte battue par les vents serait probablement désertée. Je m’étais donc résigné à ne pas m’aventurer si au nord cette fois-ci.
J’allais donc à la gare d’Aalborg, pour prendre le train en direction du sud, vers Aarhus. 2h d’attente devaient alors commencer. Pourtant, alors même que j’étais déjà en possession de mon ticket pour Aarhus, un train partait pour Skagen séance tenante. Après une brève discussion avec l’agent de la gare, je décidais de monter dans ce train-ci, mon billet pour Aarhus pouvant servir toute la journée.
Me voilà embarqué, persuadé d’arriver en moins d’une heure au sommet du Danemark. Les nombreuses étapes du train à chaque station jusqu’au terminus attendu firent que parti à 14h je n’arrivais qu’à 15h45 à Skagen. De là, 6 kms me séparaient encore de la pointe de Grenen ! Mauvais calculs, et mon lourd sac de randonnée et ma sacoche me pesaient. Je traverse le village de pêcheurs, les yeux courant sur chaque détail de façade, sous le charme de l’endroit, mais tout en laissant mes pas s’accélérer. Le dernier train partira dans 1h30. 1h30 pour parcourir A/R les 12 kms et profiter du lieu emblématique. Stupide je me dis, je ne pourrais rien faire, si je ne cours pas !
Me voilà donc courant le long de la route, en direction de la pointe. Peu de voitures, encore moins de passants. Des dunes, d’abord couvertes d’herbe, puis des landes marécageuses. Au loin un phare. Ma chaude doudoune m’étouffe, mes sacs m’équilibrent en arrière quand je m’élance vers l’avant.
Je dévie, un haut phare m’amène vers la côte. Titubant je me penche depuis le sommet de la dernière dune et manque de tomber sur la plage en contrebas. La côte est là toute entière, découpée en criques battues de vagues. Les lourds navires occupent l’horizon immobile. La pointe n’est plus très loin.
J’arrive au parking enfin, et tout suant entame la dernière ligne droite. Le parking est plein, le plage est vide. Les dunes sont de sable et tenues par des touffes végétales ci-et-là, courir devient difficile. Au détour d’un de ces monticules, je débouche face à une ouverture froide : le vide, un néant terrifiant. Ce bunker je ne l’attendais pas, et face à mon ébahissement, il y a cette meurtrière terrible dans laquelle mes yeux embrumés se perdent. A bout de souffle, je m’arrache au vide et contourne la masse de roche taguée.
La dernière ligne droite, avant le retour. Cette plage est longue, et avec les bunkers dans mon dos, je me sens comme un parachuté perdu sur un sol terrible. Le sable absorbe toute mon énergie.
Trébuchant, je passe à côté des familles, des sourires malgré le vent cinglant. Enfin cette pointe, j’y suis seul lorsque je l’atteins. Entre rire et larmes de sueurs, j’exulte. A peine arrivé sitôt reparti, voilà plus de 45 minutes que j’ai laissé le quais.
Le retour est une course abjecte, je ne regarde plus ce qui m’entoure et mes pensées sont focalisées sur le train. Ce 17h29 annoncé qui me ferait tant défaut s’il s’avéra que je fus trop ambitieux ce jour là.
Sur le parking, un van s’apprête, des jeunes retournent vers Skagen. Je prends le temps du sourire et de l’échange, espérant avoir trouver une échappatoire. Mais ils partiront plus tard, pas encore. Je repars, parcours quelques centaines de mètres, salue le phare du coin de l’œil. Le van me dépasse, un bras sorti. Je lève tristement le miens.
J’arrive sur le quais. 17h17, sans souffle. Je prends une place dans le train et ressors en sprint. La supérette est ouverte. Des bouteilles diverses pleins les bras, je regagne mon siège. Le wagon est à moi, ça tombe bien : le duvet de ma chaude veste goutte sur le sol, tandis que le train me ramène vers Aalborg. Chaque paysage, chaque instant se grave dans ma fatigue euphorique. Sans regret !